De 1949 à 1952, Orson Welles investit Essaouira pour le tournage épique d’Othello. Le génie américain tombe amoureux de l’ancienne Mogador, qui lui ouvre les bras alors qu’il est fauché comme les blés. Histoire d’une passion faite d’amour et d’eau fraîche.
À l’instar d’une mise en abîme comme on n’en voit qu’au cinéma, la passion d’Orson Welles pour Essaouira naît des braises d’un autre amour. Celui qu’il porte à la Comtesse Paola Mori, une belle Italienne qui l’entraîne à Marrakech en 1947. Orson Welles apprécie moyennement la ville ocre, s’ y ennuie et finit par suivre les conseils d’amis qui lui recommandent une petite cité fortifiée battue par les vents, située à quelques heures de route. Une certaine Mogador. C’est décidé, la ville des alizés abritera sa dernière infidélité à l’actrice Rita Hayworth, toujours sa femme à l’époque. “Il a eu le coup de foudre pour Mogador. De cette première rencontre, lui viendra, deux ans plus tard, l’idée d’y tourner les extérieurs d’Othello”, raconte Abdou Achouba, producteur de cinéma et, parailleurs, organisateur de l’hommage rendu au réalisateur américain par Essaouira en 1992. L’amour guide les pas de Welles, certes. Mais aussi les tracas pécuniaires. En butte à de sempiternels problèmes de budget étriqué, mal qui le poursuit depuis son divorce houleux avec les studios hollywoodiens, le cinéaste ne peut pas filmer à Chypre, lieu où Shakespeare situe une partie du destin d’Othello. “Welles, sans prévenir personne, débarque un jour à Casablanca où il prend le car pour Essaouira. Lors d’un arrêt prolongé à El Jadida, il visite la ville et prend la décision d’y nicher la scène d’ouverture d’Othello”, ajoute Achouba. Arrivé à bon port, Mogador, Welles commence ses repérages. Il découvre, ou redécouvre, dans les fortifications de la ville et son imposante Sqala, le cadre idéal pour insuffler le vent du grand large cinématographique à un Othello shakespearien, confiné par essence au cadre étroit des planches. “Il est tombé amoureux de la ville comme tous les esthètes”, confie André Azoulay, conseiller du roi qui, enfant, était payé un pain au chocolat par jour pour son travail de figuration sur le film. “Et le meilleur endroit qu’on pouvait trouver pour Chypre n’était pas Chypre, évidemment, les films étant ce qu’ils sont, mais Mogador. Nous étions près de ces merveilleux remparts où nous avons tourné tant de plans importants”, raconte à ce propos Orson Welles dans son documentaire Filming Othello. Un condensé de souvenirs réalisé bien des années après ce jour de juin 1949, où il débarque à Essaouira avec son équipe de tournage d’une cinquantaine de personnes. Welles a 34 ans à peine et s’apprête à entamer ce qu’il appellera son “aventure désespérée”.