Regraguia Benhila, artiste peintre née à Essaouira en 1940, est décédée dans la nuit du lundi 9 novembre 2009, à l’âge de 69 ans, suite à une longue maladie dans son atelier à Douar Lamsasa dans la Commune rurale de Lahrarta à la région d’Essaouira.
Artiste singulière et libre, la défunte a été connue pour son parcours original et ses sensibles contributions sociales et culturelles, en plus de ses actions pour l’esprit du dialogue interculturel.
Sur son parcours artistique, Abdelkader Mana, anthropologue, a confié qu’elle était une «artiste autodidacte et ce n’est que tardivement, en 1988 qu’elle a commencé à produire ses premières esquisses si caractéristiques par leur univers labyrinthique et tourmenté aux thématiques extravagantes et aux couleurs chatoyantes où s’expriment son imaginaire, sa féminité et sa forte personnalité».
«La peinture de Benhila est d’une générosité exubérante et d’une grande fraîcheur, celle du ciel et de la mer. Elle peint l’aube à la fois étrange et belle lorsque les brouillards de la nuit font danser la lumière du jour. Elle peint le ciel de la fertilité quand le jour enfante la nuit», a-t-il ajouté.
De son côté, Ali Zameharir, président de l’Association «Initiative et développement» souligne que «Regraguia, Figure de prou de la création au féminin, a marqué l’histoire de l’art marocain d’une empreinte profonde grâce à ses œuvres inédites».
Pour sa part, Youssef Boussen, acteur culturel et associatif, a révélé que «Regraguia a légué un immense travail, bien recherché et très créatif. Elle est parmi les grandes figures de la peinture marocaine. Son œuvre est partie intégrante du patrimoine national non seulement dans le domaine de la peinture, des arts plastiques mais du point de vue de notre culture visuelle en général».
“Une femme née comme moi à Essaouira en 1940, dans une famille où le père était pêcheur, n’avait d’autre choix que de passer sa vie à laver des peaux de moutons dans les vagues de l’Atlantique, même durant la saison des vents. Je partais le matin tôt avec ma mère Mbraka et ma grand-mère Tahra vers l’océan. Une fois les peaux nettoyées et séchées, on enlevait la laine et on la filait. Après, on la vendait à celles qui tissaient djellabas ou tapis. De temps en temps, je tissais un tapis, mais juste pour les besoins de la famille. Un tapis prend un temps fou et le prix qu’on t’offre est toujours ridicule. Je gagnais mieux en me limitant à traiter les peaux et à filer la laine.”
Accompagnée de sa mère et de sa grand-mère, Regraguia passait chaque soir, sur le chemin du retour d’une journée de travail à la mer, devant les galeries qui jalonnaient les ruelles de la ville. ” J’étais fascinée par les galeries, mais ce n’est qu’en 1986, à qua – rante-six ans que j’ai eu le courage d’y entrer. Et pourtant je rêvais sans cesse de prendre le pinceau” .
“Ma soeur Fatema, j’avais peur de rentrer dans une galerie de peinture. Seules les femmes riches habillées à l’européenne en franchissaient le seuil”, me confia-t-elle, le deuxième jour où elle m’invita dans son studio. “Mais j’avais décidé toute petite, de faire la guerre à alihbat (la frustration, le défaitisme). Al-ihbat est un cancer. Il faut qu’on nous enseigne à la télévision comment le combattre. Si j’avais des diplômes, j’aurais essayé de créer un vaccin contre al-ihbat” , conclut-elle en ouvrant une grosse boîte en plastique d’où elle tira son press-book et ses photos avec les célébrités qui avaient défilé chez elle. Elle voulait étaler devant moi les preuves de sa réussite, avant de continuer à se souvenir d’un passé aussi chaotique qu’imprévisible.
Selon Regraguia – qui connaît par coeur tout le répertoire des aïta , ces chansons traditionnelles du Maroc atlantique, qui célèbrent la jouissance comme devoir sacré – l’important, c’est que vous restiez rivés à votre quête du bonheur, même lorsque le malheur frappe. C’est la direction de votre regard qui influe sur la destination de la barque, aussi déchaînées soient les vagues et les tempêtes qui la chahutent. Regraguia a cette volonté forcenée du bonheur des générations d’avant le vaccin, la pénicilline, l’aspirine et la télévision. Les générations des damnés de la terre, programmés à ne compter que sur leur énergie intérieure, pour générer la lumière qui éclabousse les ténèbres.