rtiste autodidacte né en 1959 dans la région d’Essaouira (El Hanchan), Mohamed Tabal est le premier créateur à avoir investi, picturalement, l’univers mystique de la secte ganouie, en adoptant vis-à-vis du support une attitude d’homme « possédé », en pleine transe. Tout spectaculaire qu’il soit, ce comportement gestuel rythmé sur de la musique et des chants rituels atteste d’une sensibilité aiguë ; il est destiné à pénétrer les arcanes fantasmatiques des « Mlouks » aux sept couleurs (ou esprits), sans distinction manichéenne entre le bien et le mal. Cela finit généralement dans l’extase comme étape mystique suprême. L’originalité de l’inspiration et l’esthétique de l’artiste ont concouru à libérer l’expression artistique de ses dénominations normatives et de ses classifications théoriques, pour donner sur une autre forme de sublimation, proche de l’art brut. L’acte pictural se veut ici un acte de régénération et de purification. Cependant, si la palette de Mohamed Tabal s’alimente essentiellement aux sources de la mystique gnaouie, elle n’en révèle pas moins d’autres centres d’intérêt tout aussi symboliques qu’accessoirisés, à savoir la focalisation sur le mode vestimentaire des personnages à des fins descriptives, la mise en valeur des programmes d’usage relatifs aux cérémonies organisées, tels les rites de passages, d’initiation, de célébration ; la focalisation sur les instruments d’accompagnement, la concordance des formes par rapport à la réalité factuelle qui n’est ici que suggérée. Tout spontané donc que soit Tabal dans sa volonté de s’exprimer, sa transe chromatique le mène à faire corps avec la matière peinte, comprise comme une alchimie de la réincarnation. L’artiste ne s’attache guère à la superficialité de la couleur comme matériau mais à l’esprit ritualisé et anticipatif qui l’habite, dont il tire, à coups de retouches, des harmonies inédites et une vitalité mystérieuse. Les oeuvres de Tabal versent dans ce qu’on appelle généralement l’ethno-peinture : couleurs devenues repères psychologiques, absence de perspective qui se traduit (quand il ne s’agit pas de portraits), par une lecture transversale de la réalité (toujours suggérée), fréquence des aplats qui rappellent le procédé naïf… C’est une picturalité profondément affective, en ébullition, et qui dimensionne autrement les tensions réelles de l’acte créatif. Les œuvres sculptées de l’artiste relèvent du même registre. Elles se centrent sur les personnages ganouis pris souvent en pied et en plein rythme de danse, avec leur drapé uniforme, attestant d’un pittoresque local idoine. De différentes dimensions, ces sculptures en bois ou faites d’amalgames de matières adhésives, prouvent que l’art pictural de Tabal est ouvert à d’autres médiums formels, tout en restant égal à lui-même. Frédéric Damgaard, premier galeriste installé à Essaouira à l’avoir soutenu, a toujours vu en lui, par métaphore, le sourcier marocain du néo-primitivisme.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *